Aujourd’hui, je vous présente Marine qui est accompagnée par Odor, son chien guide de la Fondation Frédéric Gaillanne. Malvoyante de naissance, Marine a toujours connu les chiens guides d’aveugle, sans pour autant projeter d’en avoir un à ses côtés ayant fait la majorité de sa scolarité dans des établissements adaptés. Mais le retour dans l’enseignement classique et sa confrontation au regard des autres en se guidant à la canne la font changer d’avis immédiatement. Et si elle aussi, même encore toute jeune, avait un chien guide ?  De son déclic dans le bus à sa vie en autonomie avec Odor aujourd’hui, Marine revient sur les différentes étapes de réflexion qui lui ont permis d’être autonome dans sa vie étudiante. Elle nous raconte aussi comment sa vie et celle d’Odor ont changé dernièrement, ayant pris son indépendance et emménager avec son copain qu’il a aussi fallu intégrer à leur équilibre.

Transcription intégrale

 

E.

Bonjour et bienvenue sur le podcast Futur Chien Guide, le seul podcast sur l’univers des chiens guides d’aveugles soutenu depuis cette année par la FFAC et l’ANM Chiens Guides. Je m’appelle Estelle. Je suis passionnée par les chiens guides d’aveugles et bénévoles pour cette cause à Paris. Je suis d’ailleurs persuadée que l’univers des chiens guides d’aveugles mérite d’être mieux connu. En tant qu’amoureux des chiens, futurs bénéficiaires ou autres curieux comme moi, vous croisez parfois des chiens guides d’aveugles et leurs maîtres en vous demandant : « Mais comment font-ils pour se déplacer dans nos rues toujours plus agitées ? ». Ce podcast est le seul qui vous propose, au fil de rencontres enrichissantes, de décrypter l’univers des chiens guides d’aveugles pour comprendre par qui et comment ils sont éduqués, mais aussi de découvrir leur rôle dans le quotidien de leur maître et les bouleversements à leur arrivée, ou encore comment agir quand vous croisez un tel binôme ? Aujourd’hui, je vous présente Marine, qui est accompagnée par Odor, son chien guide de la fondation Frédéric Gaillanne. Malvoyante de naissance, Marine a toujours connu les chiens guides d’aveugles, sans pour autant projeter d’en avoir un à ses côtés, ayant fait la majorité de sa scolarité dans des établissements adaptés. Mais le retour dans un enseignement classique et sa confrontation au regard des autres en se guidant à la canne la font changer d’avis immédiatement. Et si elle aussi, même encore toute jeune, avait un chien guide ? De son déclic dans le bus à sa vie en autonomie avec Odor, aujourd’hui, Marine revient sur les différentes étapes de réflexion qui lui ont permis d’être autonome dans sa vie étudiante. Elle nous raconte aussi comment sa vie et celle d’Odor ont changé dernièrement, ayant pris son indépendance et emménagé avec son copain qu’il a fallu également intégrer à leur équilibre. Quelques soucis de son se sont glissés dans l’épisode, mais j’espère qu’ils ne gâcheront aucunement cette belle histoire. Et maintenant, place à l’épisode.

E.

Bonjour Marine.

M.

Bonjour Estelle.

E.

Merci d’avoir accepté mon invitation sur le podcast Futur Chien Guide. Alors est-ce que, pour commencer, tu peux te présenter ?

M.

Je m’appelle Marine, j’ai 18 ans et je suis actuellement en BTS communication à Cambrai, dans le nord de la France, près de Lille.

E.

Et du coup, si on se connait, ça fait un moment, en fait, qu’on échange sur les réseaux sociaux. Tu navigues aussi dans l’univers des chiens guides d’aveugles. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur toi, sur ta cécité et puis sur comment tu en es arrivée à rentrer dans ce merveilleux monde des chiens guides d’aveugles ?

M.

Mon handicap visuel, c’est de naissance.

E.

D’accord.

M.

On l’a appris à quatre mois, à peu près quatre-six mois, parce qu’en fait ma mère a remarqué que je ne la suivais pas du regard, puis a trouvé, du coup, pas ça normal. Et elle a été voir un médecin qui l’a dirigée vers un spécialiste. Et qui ont dit que j’avais une hypertrophie des nerfs optiques. Pour que l’œil voie bien, il faut que le nerf soit rond et soit gonflé pour que l’information passe correctement. Mais le mien est plat et donc l’information passe très peu. Au début, les médecins lui avaient dit que je ne verrais jamais de ma vie.

E.

D’accord.

M.

Ma mère, elle a été super détruite. Ça a été très dur pour elle de se remettre un peu de tout ça parce que j’étais sa première et pour elle, c’était.. c’était pas un bonheur qui se détruit, mais ça implique un changement. Et puis elle pensait un peu que c’était de sa faute. Alors qu’on a fait des tests, c’est pas génétique, c’est une malformation.

E.

C’est le hasard qui a fait les choses comme ça.

M.

Oui, c’est ça. J’ai grandi avec ça et on a remarqué que ma vision augmentait. En fait, mon œil gauche commençait à percevoir des lumières, des formes, des couleurs. C’était super rassurant. J’ai un bon bilan. Donc j’avais un peu de mal à me développer comme tous les enfants atteints de cécité, c’est un peu compliqué. On n’a pas le repère visuel, on ne peut pas du coup copier sur nos parents. On est obligés un peu d’apprendre par nous-mêmes, puis s’adapter. C’était à mes trois ans où j’ai commencé à avoir un pic de développement parce que, en fait, ma mère a décidé de prendre un chien. C’était un labrador sable qui s’appelait Biscotte. Et en fait, mine de rien, même si c’était pas un chien d’éveil, il a fait ce rôle, entre guillemets, pendant trois ans. C’était l’un des plus gros changements de ma vie et ce qui m’a aidée vraiment à mon développement, il était toujours là, à côté de moi, pour m’aider à marcher. Il restait là, il était debout. Il attendait que je m’appuie sur lui, il marchait au même rythme que moi, dormait à côté de moi. C’était un superbe chien, il m’a vraiment aidé à mon développement.

E.

Du coup, de tes 3 à tes 6 ans, tu étais accompagnée de Biscotte qui, de fait, était un chien de compagnie, pas un chien d’une association spécifique, mais qui a eu auprès de toi le rôle, comme tu le dis, d’un chien d’éveil.

M.

C’est ça, en fait, même si ce n’était pas son rôle principal. Mais j’avais plutôt quatre-cinq ans, je crois à peu près. En fait, à ce moment-là, on était à la Réunion, c’était la terre natale de mon père et mes parents se sont séparés. Du coup, ma mère a dû rentrer sans Biscotte parce qu’avec l’avion, etc., ça aurait été trop compliqué. Du coup on l’a confié à une famille directement à la Réunion, il a coulé ses meilleurs jours. J’ai eu des nouvelles régulièrement, tout va bien et il a vraiment vécu une belle vie. C’était un très bon chien.

E.

Et à ton retour du coup en France avec ta mère, comment vous avez géré ? Du coup, Biscotte n’était plus à tes côtés, tu as des souvenirs de cette différence, j’imagine ?

M.

Oui, oui, je me sentais plus seule parce que c’est vrai que, en maternelle, c’était un peu compliqué de se faire des amis parce que les enfants, ça a toujours été compliqué quand il y avait une différence. Mais j’avais mon petit frère avec moi, c’était devenu mon deuxième meilleur ami du coup. Je restais beaucoup avec lui, on a vraiment une relation fusionnelle. Et lui, pour lui, la vision que j’avais, c’était normal à ses yeux, c’était comme tout le monde. Et puis il s’adaptait et il ne se posait même pas, en fait, la question.

E.

Il a quel âge par rapport à toi, ton petit frère ?

M.

Il a trois ans de moins, donc il a grandi avec ça. Du coup, dans ma nouvelle école de maternelle, ça c’est assez bien passé, j’ai pu… je me suis fait déjà plus d’amis, ce qui était un point positif. L’enseignante que j’avais adaptait vraiment ses cours et me faisait participer un maximum, donc c’était vraiment une très belle année. Donc ensuite, ma mère a rencontré mon beau-père qui lui aussi a dû s’adapter un peu au handicap. Il appréhendait un peu justement le handicap parce qu’il ne savait pas comment s’y prendre, il se posait beaucoup de questions, c’était compliqué pour lui. Mais au final, on s’en est plutôt bien sortis parce que c’est lui qui m’a appris à faire du vélo toute seule, donc euh… Il a pas relaché, il s’est beaucoup donné en fait pour que je sois comme les autres et que je puisse faire comme tout le monde. Même quand on jouait à des dehors, il s’adaptait. Admettons quand on jouait à la pétanque tous ensemble, en fait, il se mettait devant le cochonnet pour que je lance la boule. Bon après bien sûr, il se recule, parce qu’on sait jamais. Enfin vraiment il donnait de sa personne et encore, au jour d’aujourd’hui, il donne encore de sa personne pour vraiment m’accompagner un maximum.

E.

Finalement il s’est adapté. Il a eu ce rôle-là auprès de toi aussi de t’apprendre plein de choses, tout simplement.

M.

Oui, c’est ça. Et puis ça me faisait du bien aussi qu’il soit à mes côtés, parce que je n’avais pas de… enfin mon père c’était un peu compliqué. Lui a eu énormément de mal à l’assumer. Pour lui, vraiment, ça a été une défaite un peu, si on peut dire comme ça, d’avoir sa fille qui est atteinte de ça. Il l’a vraiment mal pris.

E.

Il l’a vécu comme un… comme un échec, en fait.

M.

Oui, c’est ça. Pendant toutes mes années de primaire, il y a eu des moments où c’était compliqué. Il y a eu des années où vraiment ça n’allait pas du tout parce que je n’étais vraiment pas intégrée à la classe et les professeurs, ce qu’ils faisaient en fait, ce qu’ils disaient dans la cour de récréation… en fait ils choisissent deux personnes au hasard et ils disent ‘tu restes avec elle tout le long de la récréation’. Mais ça ne sert à rien parce qu’ils ne me parlent pas, j’ai pas d’interaction, je suis quand même toute seule. Le but, c’est de créer un peu des liens. Ça a été vraiment compliqué au niveau du… de l’enseignement aussi en primaire. Mais je m’en suis sortie quand même et mes parents ont pris la décision, au collège, de me faire entrer dans une école spécialisée, à l’ERDV, l’école régionale pour déficients visuels à Loos. J’y suis restée quatre ans, toute mon année de collège, et ça a été bizarre et pas bien en même temps parce que je partais du coup à l’internat la semaine, j’ai appris déjà à être autonome, à faire ma valise, enfin vraiment… à choisir mes vêtements. C’était vraiment… Ma mère m’a beaucoup laissé d’autonomie parce qu’elle ne voulait pas que je sois, entre guillemets, assistée. Elle a dit ‘tu peux te débrouiller toute seule. On est là, mais tu peux y arriver’. Le plus dur je pense que ça a été le déchirement avec mes parents puisque le week-end, je me sentais pas trop à ma place. J’ai eu vraiment beaucoup de mal quand la semaine, je partais à l’école, le week-end, je rentrais chez moi. C’est pour ça que du coup, en troisième, j’ai pris la décision de revenir chez moi et de ne pas continuer dans un enseignement spécialisé, mais de retourner dans un cadre, entre guillemets, classique. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à prendre la canne blanche parce que en fait, au collège, l’inconvénient de l’école spécialisée, c’est qu’on est trop accompagné. Et en fait, une fois qu’on se retrouve tout seul, c’est très compliqué. Donc j’utilisais pas ma canne vu que j’avais toujours quelqu’un qui me tenait au bras. Je savais que, en seconde, j’en aurais besoin et j’ai dû apprendre à l’utiliser, à l’apprivoiser, ce qui était compliqué. À mon entrée en seconde, je l’avais, et puis quand j’ai vu le regard des gens, ça m’a bloquée. J’ai eu beaucoup de mal.

E.

C’était un peu un regard, un regard… parce que du coup, tu rentrais dans un lycée d’enseignement classique comme tu dis, et ça faisait l’originalité, mais les gens étaient plus… enfin et puis, au lycée, on n’est pas encore tout à fait tous très intelligents socialement dans notre tête, on va dire, enfin au collège aussi, mais du coup, là, le collège, à part la troisième, vous étiez vraiment entre vous, donc tu n’avais pas ressenti la différence, je pense.

M.

Oui, c’est ça.

E.

Et là la seconde, tu t’es pris un peu ça en pleine face avec l’utilisation de la canne blanche.

M.

Les gens me regardaient un peu… enfin je sais pas comment ils me regardaient, mais je sentais que bon, je me suis pas fait trop d’amis non plus. La seconde, ça a été, je pense, l’une de mes pires années. Mais il y a eu quand même du positif dans tout ça. En fait, en troisième, dans mon école, pour entrer dans le vif du sujet, il y avait un élève qui avait un chien guide, donc de la Fondation.

E.

Donc de la Fondation Frédéric Gaillanne.

M.

C’est ça. Je me posais pas plus de questions, en fait, je connaissais l’existence des chiens guides, mais ce n’était pas en fait mon objectif premier. Pour moi, j’en avais pas la nécessité en fait.

E.

Qu’est-ce qui est expliquait ton point de vue à l’époque sur le fait que tu n’avais pas besoin forcément d’un chien guide ? C’est parce que tu te sentais assez autonome, assez encadrée, ou… ?

M.

Je pense que le fait d’être trop encadrée, en fait je me rendais pas compte forcément de la réalité. J’étais enfermée, entre guillemets, dans une bulle où voilà, j’étais tout le temps aidée, tout le temps quelqu’un qui me tiendra le bras, etc. Alors que ben non. Je me suis pris un peu une claque quand je suis rentrée en seconde. En fait il n’y a pas eu de transition entre les deux, j’ai pas pu me rendre compte en fait.

E.

La personne qui avait un chien était avec toi au lycée ?

M.

Alors moi j’étais au collège et lui il était au lycée.

E.

OK.

M.

Donc je savais que la fondation existait. Donc il m’a dit que voilà, on remettait des chiens guides à des enfants malvoyants et non-voyants de 12 à 18 ans. Bon ben moi, je me suis dis ‘ben, ça n’existait pas déjà ?’ Enfin je veux dire, pourquoi il n’y en a qu’une seule, pourquoi une seule en Europe ? Je me disais ‘c’est quand même bizarre’, et je me suis renseignée et effectivement.

E.

Pour toi, ce n’était pas une exception en fait d’avoir un chien entre 12 à 18 ans. Tu n’avais pas envisagé que les écoles ne remettaient des chiens qu’à partir de 18 ans. Pour toi, c’était quelque chose de logique en fait.

M.

Oui, c’est ça. Après je me dis qu’en plus, en étant adolescente, je trouve que pour certaines personnes, c’eût été super utile. Quand je m’en suis rendu compte, je me suis dit ‘ben, quand même, quoi, on est assez fermés sur ce sujet’. J’étais un peu quand même choquée parce que je me dis ‘pourquoi ils en remettent à des adultes et pourquoi pas à des enfants ?’ Je veux dire ça allait de soi. Quand t’es adolescent, tu portes aussi ce handicap, et je dirais qu’il est même parfois plus dur de le porter en étant adolescent qu’en étant adulte. Voilà, je me suis renseignée, mais pour l’instant en fait ça n’allait pas plus loin. En seconde, j’en avais vraiment marre de la canne blanche, puis j’étais assise dans le bus, puis un jour, je me dis ‘pourquoi j’ai pas un chien guide ?’ Et j’ai commencé à me renseigner, à regarder des reportages et je me suis dit ‘c’est ça que je veux, c’est vraiment ça que je veux’. L’idée a émergé en novembre 2018. J’en ai parlé à mes parents en décembre. En fait ça a été compliqué pour moi, je me suis dit ‘peut-être qu’ils voudront pas parce qu’on avait déjà deux chiens à la maison’. Je me suis dit ‘ça fera un chien de plus, et est-ce que aussi j’aurai les capacités de m’en occuper ? Est-ce que j’y arriverai en fait, en fin de compte? C’est une grosse responsabilité quand on y réfléchit bien. En fait ce n’est pas qu’un outil de travail. C’est vraiment un être vivant. Et il y a eu un mois de réflexion avant d’en parler à mes parents.

E.

Oui, parce que, contrairement à une canne blanche qu’entre guillemets tu peux plier et ranger dans ton sac, un chien… Ça me rappelle la pub de la Fédération Française des Associations de Chiens guides qui avait fait ça à l’entrée des supermarchés. Tu le dégonfles pas et tu le mets pas dans ton sac quoi, il est là.

M.

Oui, c’est ça.

E.

Et puis c’est une responsabilité. Comme tu dis, en dehors d’un outil de guidage, c’est vraiment un lien, une présence et c’est la responsabilité d’un être vivant, surtout, à tes côtés.

M.

C’est ça. Du coup en décembre, j’en ai parlé à mes parents. On a longuement réfléchi, parce qu’on devait peser le pour et le contre, pour voir si vraiment… si le chien il serait heureux chez moi. Donc en janvier, ma mère a pris la décision et a dit ‘c’est bon, vas-y, on va faire la demande, puis on sera là pour t’aider et pour t’accompagner dans ce parcours.’ C’était une libération pour moi, je me suis dit ‘ah enfin, j’attends depuis deux mois quand même !’.

E.

Mais du coup ils n’avaient pas… ils n’ont pas eu cette appréhension que tu craignais de rajouter un chien dans la famille ? Vous avez beaucoup échangé là-dessus ou ça a été assez fluide pour eux et assez évident que ça pouvait t’apporter vraiment quelque chose ?

M.

Ben en fait pour eux ils pensaient que c’est eux qui allaient s’occuper du chien. Et ils se sont dit ‘ça nous rajoute une charge en plus’, et je leur ai expliqué que… en tout cas tout ce que j’avais regardé, je leur ai dit  ‘mais non ça doit être au bénéficiaire de s’en occuper’. Je leur ai expliqué ‘ça va être mon chien’ et ça va pas être leur chien. Enfin je leur ai expliqué qu’il y aurait une différence entre mon chien et les chiens de la famille. Et ils ont été rassurés. Puis voir aussi tout l’accompagnement qu’il y avait derrière. Donc ils étaient… ça les a vraiment rassurés, en fait. Donc j’ai rempli mon dossier en janvier et je l’ai envoyé en février 2019. Et j’ai attendu pas très longtemps parce qu’en mars, la Fondation m’a appelée et m’a dit ‘écoute, si tu veux, tu peux venir en stage découverte mi-avril’. C’est rapide quand même !

E.

C’est vrai que c’est la première étape. On en avait parlé un petit peu, du coup, c’est le troisième épisode qu’on fait sur la Fondation. J’en avais un peu parlé avec Bérénice dans l’épisode 28 et également avec Anaïs dans l’épisode 35, qui sont toutes les deux bénéficiaires d’un chien guide de la Fondation Frédéric Gallianne. Et la première étape avant de savoir si vous souhaitez poursuivre, c’est vraiment de vous accueillir directement à la fondation à l’Isle-sur-la-Sorgue justement pour voir et concrétiser un peu votre demande au côté de vrais chiens.

M.

C’est ça. Je m’y suis rendue le 25 et 26 avril 2019, j’avais fait la route, puisque que, du nord au sud, il y a quand même beaucoup de route.

E.

Ben oui.

M.

Et donc je suis arrivée et on m’a présenté la Fondation, l’équipe, et on ne nous a pas tout de suite présenté les chiens même si c’était la chose qu’on attendait le plus. On était deux dans mon stage découverte et on nous a présenté comment on va mettre un collier au chien. Et ensuite on nous a présenté le harnais pour le toucher, pour pouvoir le voir visuellement, pour connaître déjà l’objet et pour pouvoir ensuite bien l’apprivoiser. Toute la matinée, ça a été vraiment des renseignements. On a vraiment beaucoup parlé sur ce qu’est un chien, déjà, pour définir vraiment ses besoins, etc. Pour vraiment nous mettre en condition de nous dire ‘voilà, si vous voulez un chien guide, il aura besoin de ça, de ça, de ça’. Après ils nous expliquaient la partie guidage, comment… la sensation, les ordres qu’il faut donner, etc. et aussi comment s’en occuper, par exemple comment lui donner à manger, comment lui faire faire ses besoins, etc. Et c’était vraiment une partie intéressante, même si ce n’était pas mon moment préféré puisque mon moment préféré c’était la rencontre avec les chiens.

E.

C’est ce que tu attendais.

M.

C’est ça. Et en fin de matinée donc, on a fait déjà connaissance du parcours des sens qui est un parcours au sein de la Fondation, ça fait une mini ville où on a des bruits sonores, on a vraiment différentes textures au niveau des sols…

E.

Des petits escaliers, des passages piétons. Tout ce qu’on peut retrouver dans un trajet, dans un condensé d’espace.

M.

C’est ça. On a fait le tour à la canne et après nous, on tient le harnais et en fait, on a l’éducateur devant qui tient le bout du harnais où normalement le chien à sa tête. On fait le chemin comme si on en fait on avait vraiment le chien, sauf que c’est à l’éducateur en amont à donner les ordres au bon moment, etc. Puis se sentir à l’aise, déjà avoir pris le harnais en main et l’avoir entre guillemets essayé.

E.

Oui, c’est cette première étape où en fait.. alors l’éducateur n’est pas dans le harnais pour le coup, il ne prend pas la place du chien. Cependant, c’est lui qui tracte le harnais et qui te fait ressentir pour la première fois un peu ce lien que tu vas avoir avec le chien via le harnais.

M.

Et on arrive au chenil, donc je m’installe et puis je vois plein de toutous tout contents. Je me dis ‘oula, sont quand même gros en fait’, parce que j’avais déjà vu des Labrador, mais jamais de Saint-Pierre. Je pensais pas que c’était aussi imposants, si gros…

E.

Gros nounours, quoi !

M.

Ouais c’est ça.

E.

Parce qu’à la maison, tu disais que tu avais deux chiens. Pour le coup, c’est des races qui sont un peu différentes.

M.

Oui, j’avais un bichon, donc tout petit, et un dogue de Bordeaux, gros chien quand même masto, j’ai déjà l’habitude des gros chiens, mais pas d’un mélange des deux : un gros chien tout poilu. Donc ils nous présentent les chiens et j’en ai essayé plusieurs. Ce qui était marrant, c’est que vraiment en fait j’ai pu voir que chaque chien avait vraiment son caractère et sa vitesse de marche etc. et qu’il y en avait vraiment certains avec qui ça ne collait pas du tout. Par exemple, il y avait une femelle qui s’appelait Nérone, c’était impossible. Nos deux caractères ne correspondaient pas du tout. Je m’entendais pas avec elle, elle s’entendait pas avec moi. Et en fait, pour moi, c’est normal après d’avoir un peu des idées reçues sur les chiens guides, je connaissais pas très bien, mais pour moi on attribuait un chien à n’importe qui, ont donnait ce chien-là et c’est tout. Il n’y avait pas…

E.

De recherche de la création d’un binôme, vraiment, qui était sur la même longueur d’onde. De toute façon, lors de ce stage découverte, les chiens que tu as essayé, c’est pas les chiens qui vont être proposés pour la remise. L’objectif, c’est de découvrir, mais ce n’est pas forcément ces chiens-là, si je me trompe pas, qui peuvent être derrière associés à toi en binôme à la fin du processus.

M.

C’est ça. Après, du coup vu que c’était fin avril et qu’à l’époque les classes c’était fin juillet, on avait les chiens qui allaient être remis en juillet, donc j’aurais pas eu de chien, donc j’en ai essayé plusieurs et je me suis trouvé d’affinités pour Némo qui était un très, mais alors très très gros Saint-Pierre de 45 kilos. C’était, ouais, c’était un sacré bonhomme, il avait les yeux vairons, donc il avait un œil… un œil marron et un œil bleu, je trouvais ça trop mignon. Puis il était adorable, il était très calme, très câlin. Il aimait beaucoup manger. C’était vraiment une première expérience, en tout cas avec un chien qui était… c’était la meilleure expérience que je pouvais avoir en fait. C’était un très bon chien. Et à la fin de ce stage découverte qui dure deux jours, la Fondation m’a dit ‘bon, voilà, si tu veux continuer l’aventure, on peut te proposer de venir en pré-classe’. Moi, je fais ‘bien sûr. J’ai testé le chien guide une fois, enfin je m’arrête pas, quoi’. Pour moi, c’était évident en fait d’en avoir un.

E.

L’après-classe, c’était quand pour toi ?

M.

Du coup en octobre 2019. Donc j’ai pas attendu longtemps, quelques mois. Donc c’était une pré-classe d’une semaine pendant les vacances scolaires. Et là, vraiment, on va vraiment nous… nous évaluer entre guillemets, sur comment on se comporte, en tout cas en autonomie, enfin comment on se gère nous-mêmes, comment on va gérer le chien au quotidien. Pendant deux jours, on nous apprend, mais ça ne suffit pas pour savoir comment on gère, on va gérer le chien. C’était vraiment en fait comme une évaluation, pour savoir si on est vraiment apte à avoir un chien guide. Du coup, je suis arrivée et on était cinq-six je crois. On était deux Françaises, je crois, un Belge et deux Italiens.

E.

D’accord.

M.

Parce qu’en fait il y a une ancienne bénéficiaire qui était venue avec son chien parce qu’elle avait des difficultés. Donc on a pu déjà voir le lien entre les deux et c’était vraiment beau, je trouvais ça vraiment super fusionnel. Je me suis dit ‘je veux pareil avec mon chien’, ça m’a motivée encore plus. On nous a refait un récap de ce qu’est le chien guide, les différents ordres, le harnais, etc. Enfin le récap qu’on avait eu en stage découverte. Donc là on a été voir les chiens et là ils nous ont dit ‘il n’y aura pas plusieurs chiens que vous allez essayer, on va vous attribuer un chien’. Le but, c’est de voir aussi le caractère du chien puis d’un peu s’adapter à lui – parce qu’en fait, au cours de l’après-classe, pendant deux jours et demi, on aura un chien, et deux jours et demi on aura un autre chien pour vraiment vivre avec d’autres caractères, tous types de chien – donc j’ai eu Loft, qui était un Saint-Pierre aussi, donc mes trois premiers jours, et qui était un chien avec un caractère assez particulier mais qui collait bien avec le mien. Il n’a pas été remis en tant que chien guide parce que justement il a du mal à faire confiance aux autres.

E.

Oui, c’est rigolo parce que je me souviens que Bérénice dans l’épisode 28 nous avait aussi parlé du fait qu’elle avait testé Loft. Donc vous avez testé le même chien, mais qui est toujours un chien que vous testez et qui n’est pas forcément remis comme tu viens de nous le dire.

M.

C’est ça. C’est des chiens de démonstration. On a tissé un lien lui et moi qui était très fort puisque en fait on avait à peu près le même caractère. Ce qui m’a marquée, c’est qu’on a dû changer de chien donc le mercredi. Donc je passais sur Moose, qui était un Saint-Pierre aussi, une femelle. Et en fait, au moment où on revenait justement des sorties en ville où on testait les chiens en milieu réel, quand l’éducateur a dit à l’enfant d’appeler Loft, il l’a appelé mais Loft est venu à mes pieds, il s’est assis à mes pieds. J’ai dit ‘mais c’est pas moi qui t’ai appelé’. Pendant toute l’après-classe il n’a pas arrêté de me regarder et l’éducateur me l’a fait remarquer et ça m’a fait vraiment chaud au cœur. C’était un super chien. On avait créé un lien super fort, lui et moi. C’était vraiment un bon chien. Comparé à Moose, j’ai eu un petit peu plus de mal. Vraiment appréhender un peu les inconvénients du chien guide, parce qu’en fait elle était un peu malade, elle a fait ses besoins dans la chambre et elle allait vraiment pas bien. Donc l’éducateur m’a dit ‘voilà, je vais ramasser, mais il faut que tu apprennes à rassurer, à être à ses côtés’. Elle était en fait vraiment malade, elle avait une petite gastro, en soi rien de grave, mais elle avait besoin de ce fonctionnement, et j’ai dû apprendre à la calmer, la rassurer, sachant que c’était une chienne très stressée. En fait ça m’a permis de comprendre que le chien, c’est un peu, un peu aussi comme un humain. Il a besoin de se sentir rassuré. Il a besoin de contact, il a besoin de câlins, il en a besoin encore plus parce que c’est vrai qu’avec… Je lui en faisais, mais ce n’était pas pareil. C’était… il restait quand même distant. Donc je me dis qu’il n’avait pas besoin de plus que ça. Et j’ai remarqué qu’en fait, chaque chien est différent. Justement, elle avait besoin de plus de soutien, plus de câlins, et ça m’a appris un peu à développer ce côté affectif, en fait.

E.

Et du coup, dans l’histoire, tu as rencontré ton Odor. À quel moment ?

M.

Alors Odor je l’ai rencontré en pré-classe. En fait, j’étais avec Théo, qui était un aussi futur bénéficiaire. Et en fait, on avait les chiens en éducation qui étaient au chenil et on nous a dit les prénoms. Je sais pas pourquoi, mais le prénom de Odor m’est resté et je l’ai appelé de loin. Et en fait, il commençait à se mettre debout sur ses pattes, a commencé à pleurer et ça m’a, ça m’a marquée. Ça a été le premier en tout cas… la première entre guillemets rencontre avec Odor.

E.

Après l’après-classe, tu rentres chez toi, tu reviens pour la classe, là Odor t’a été proposé ?

M.

Alors avant la classe de remise, il y a un salarié de la Fondation qui est venu chez moi pour voir l’environnement, pour voir mes trajets, pour voir si le chien serait… enfin si ma cour, ma chambre serait adaptée à ses besoins. Pour parler avec mes parents directement sur le lieu de vie. Enfin, vraiment pour… aussi un test avant la remise. Donc elle a dit ‘voilà, on verra si tu seras prise en classe de remise’. Donc il y a eu le confinement, et je me suis dit ‘là c’est mort’. Il y aura pas de classe de remise, bon moi je me dis ‘c’est pas possible’, j’étais triste, vraiment triste. Donc juste après le confinement, il y a Chantal, la responsable du pôle enfant qui m’appelle, qui me dit ‘bon, alors tu viens en classe ?’ Moi je fais ‘mais bien sûr !’ Donc ça a commencé comme ça. En juillet 2020 j’arrive en classe de remise, j’étais stressée. J’avais la boule au ventre. Là je me suis dit ‘ça y est, tu vas enfin avoir ton chien’. Je ne savais pas qui ça pouvait être. On m’avait déjà fait un petit brief sur les noms de chiens, mais j’en savais pas plus. Avec maman, on avait beaucoup parlé et ma mère dit ‘moi je te dis : soit c’est Odor, soit c’est Olaf’. Je me suis dit ‘làààà’. C’est vrai que j’avais un petit coup de cœur pour Olaf parce que c’était vraiment un gros nounours, enfin un gros nounours de 40 kilos. Il avait des grosses pattes, il avait une grosse tache blanche, il était tout doux. C’était vraiment un de mes coups de cœur, mais je ne l’avais pas… en fait je l’avais pas rencontré encore en vrai en fait.

E.

Ouais, tu l’avais juste vu un peu en photo, quoi.

M.

C’est ça. Donc le chien en classe de remise c’était Odor. On me l’a donné, il s’est couché à côté de moi. Il n’a pas bougé. Pas un regard ni rien. Je me suis dit ‘bon, ça commence bien’. Donc le premier exercice c’était de marcher avec le chien en laisse simple et lui donner des ordres du type assis-couché-reste. Donc il marchait à ma vitesse et en fait dès que je lui disais assis, c’était pour lui instantané. Tout de suite iI était à l’écoute et il me regardait en fait avec des yeux… je ne sais pas si c’était rempli d’amour mais en tout cas il était vachement à l’écoute, c’était instantané en fait. Des fois, il anticipait avant que je le dise, et juste avec le geste il me répondait en fait. Et je me dis ‘Waouh, ah ouais quand même, c’est fort’.

E.

Ouais.

M.

Malgré qu’on n’avait pas ce, comment dire, ce feeling au niveau caractère, je sentais qu’il y avait quelque chose, il y avait un truc en plus, mais je ne savais pas quoi. Je ne savais pas comment le décrire parce qu’en fait, après, quand il faisait les exercices avec les deux autres bénéficiaires, il prenait plus de temps, il était plus mou, il… Je sais pas, en fait, je ne saurais pas expliquer, mais il y a vraiment eu quelque chose en fait.

E.

Vous avez eu une connexion entre vous qui faisait qu’il était, il était au taquet, quoi.

M.

C’est ça. Et j’ai essayé deux autres chiennes qui étaient des femelles. J’avais essayé One, qui, elle, je la trouvais très très douce. Et en fait, le souci, c’est qu’elle avait un peu une appréhension du harnais et elle avait peur de le mettre et j’ai dit à l’éducateur ‘je veux pas la forcer’. J’ai vraiment dit ‘je ne veux pas la forcer à me guider, ni rien’, donc. Et au final d’ailleurs, cette chienne a été réformée. Mais elle était vraiment très, très douce, très calme. Et avec elle, j’avais eu un petit coup de cœur, mais niveau émotionnellement parlant. Et ensuite j’avais testé Onyx qui, elle, marchait trop vite, était speed, aboyait tout le temps, enfin vraiment, c’était… aucune connexion, alors elle, c’était pas possible. Et donc, à la fin de cette journée, on les avait testés aussi au harnais dans le chenil et Odor, toujours aucun problème, enfin il m’obéissait au doigt et à l’œil. Mais par contre en dehors du harnais il s’allongeait, il me jetait aucun regard donc c’était un peu compliqué. Mais à la fin de la journée, l’éducateur nous dit ‘voilà, c’est quel chien que vous avez préféré ?’ Moi je dis ben ‘c’est Odor, clairement Odor’. Et le mardi donc, on continue à essayer les chiens et cette fois-ci, c’est en situation réelle. Et donc j’avais testé Onyx et après on m’a fait tester Obi-Wan, qui était le frère de Odor et lui était un très bon chien aussi. Mais j’avais pas en fait… il me manquait ce truc que je saurais pas définir, en fait que j’avais avec Odor et que j’avais pas avec Obi-Wan. Et je n’arrivais pas en fait à mettre les mots dessus. Il y avait vraiment quelque chose entre nous deux. Et quand je l’ai essayé donc en dernier, même s’il était un peu fatigué dû à la chaleur et puis qu’il avait déjà fait le trajet avec les autres bénéficiaires, je sentais justement ce truc qu’il y avait, vraiment il était très à l’écoute. Il faisait très attention. Le moindre petit papier qui traînait, il me l’évitait pour pas que je marche sur le papier, enfin vraiment c’était… il y avait quelque chose.

E.

Très précautionneux, quoi.

M.

Oui, c’est ça. Et on arrive au fameux jour, parce que pendant deux jours et demi à peu près, on testait les chiens pour qu’après les éducateurs fassent leur pronostic parce que ce n’est pas nous qui choisissons avec quel chien on va terminer, mais c’est les éducateurs, vraiment, qui vont évaluer en fonction du caractère, de la vitesse de marche, du rythme de vie, pour justement que aussi le chien se sente épanoui dans son travail de chien guide et puis pour permettre d’avoir le lien le plus soudé possible. Et on arrive à ce fameux jour, c’était un après-midi, j’étais assise. Donc Céline, l’éducatrice, nous fait un petit speech, enfin pour bien nous faire attendre ! Elle me dit ‘bon ben voilà Marine, tu peux appeler Odor. J’ai appelé Odor et bizarrement il était super heureux alors que d’habitude il se couchait juste. Et il m’a fait la fête. C’est comme s’il avait compris en fait, je l’ai vraiment ressenti comme ça, qu’il avait compris qu’il allait faire son petit bout de chemin avec moi. Et c’est à partir de ce moment-là où on a commencé à créer un lien tous les deux.

E.

Donc ça c’était il y a quasiment deux ans, maintenant ?

M.

C’est ça.

E.

Ça va faire deux ans début juillet. Qu’est-ce que tu as appris ou tu as découvert dans cette aventure auprès des chiens guides que tu n’envisageais pas du tout en fait, avant d’avoir Odor, qui a été un peu le bonus ?

M.

Ce que j’ai découvert, c’est vraiment le bonheur de vivre avec son chien, entre guillemets, au quotidien. Enfin vraiment, pour moi, m’en occuper en dehors du fait de son travail de guidage, c’était un pur plaisir. Même ramasser son caca du matin, c’était pas un problème pour moi. Et vraiment cette découverte de tout ce que le chien apporte en dehors du guidage, je ne l’imaginais pas aussi, aussi fort que ça en fait. Souvent, les gens me demandent, je leur dis ‘en fait si vous l’avez pas vécu, vous pouvez pas imaginer tout ce que ça apporte’. Enfin vous pouvez imaginer en soi avec votre chien de compagnie, mais je trouve que ça va encore plus loin que ça en fait. On est 24 heures sur 24 ensemble, il y a vraiment un lien très, très fusionnel qui se fait et c’est vraiment quelque chose que j’ai découvert et qui était super fort entre nous deux.

E.

Et justement, parmi tout ce que vous avez vécu là en deux ans, alors on remettra un petit peu des photos sur le site futurchienguide.fr. Mais est-ce qu’il y a un moment où tu as été bluffée par Odor et pour le coup qui reste un vrai moment marquant ?

M.

Le moment où j’ai été bluffée de Odor, c’était… vraiment c’est en fait sa, comment dire, sa capacité à… en fait il a une très grande intelligence, la Fondation m’a fait remarquer qu’il est très malin. Et en fait, c’était donc juste après la classe de remise, justement. Mes grands-parents étaient venus et il y avait un bout de pain sur la table que Odor avait volé. Je m’en suis rendu compte, je l’ai repris gentiment. J’ai dit non, fait pas ça, etc. Et donc j’avais oublié le bout de pain dans le cours. J’avais… J’y pensais plus et il est revenu avec ce même bout de pain, il l’a mis au niveau de mes pieds, il s’est assis à côté pour dire tu vois ‘le bout de pain, il était là, je l’ai pas mangé, mais je te le ramène’. Comme pour s’excuser et j’ai trouvé ça adorable.

E.

Oui pourtant, ça faisait très peu de temps que vous étiez ensemble en binôme.

M.

C’est ça. J’avais vraiment l’impression qu’il me comprenait. Des fois, j’ai même pas besoin de lui parler et il comprend direct. D’ailleurs, il me regarde là, à l’instant où je parle. C’est vraiment un chien avec une intelligence incroyable, et je n’imaginais pas justement qu’il pourrait me comprendre autant. Même si on parle pas le même langage et qu’on n’est pas de la même espèce, j’ai l’impression que je le connais depuis toujours en fait.

E.

Et en dehors de la rencontre que tu as fait avec Odor qui à mon avis est une des plus belles rencontres de ta vie, est-ce que tu as fait d’autres rencontres assez exceptionnelles que tu n’aurais jamais fait si tu n’avais pas été dans ce monde des chiens guides ?

M.

Je dirais la rencontre déjà avec d’autres bénéficiaires de la même région que moi, *Romane* qui est accompagnée de Nitro depuis maintenant trois ans à peu près et avec qui on a créé un lien fort et puis on échange souvent sur nos chiens, et puis on va se rencontrer. Et justement, je pense que si j’avais… si je n’étais pas rentrée dans cet univers-là, je n’aurais pas côtoyé des personnes qui aussi, justement, partagent le même bonheur que moi, et en parler avec eux c’est incroyable, on se comprend direct en fait.

E.

Hmm oui. Parce que tu partages du coup le fait d’avoir un binôme très fusionnel comme ça, d’avoir un chien à toi qui est autant un chien qui t’aide dans le guidage, mais aussi qui t’apporte énormément de choses en dehors. C’est vrai que c’est pas… c’est pas facile d’en discuter avec des gens qui sont, qui n’ont pas connu tout ça quoi.

M.

C’est ça. Je veux citer une autre rencontre aussi. Je pense que ça paraît évident, mais c’est la famille d’accueil de Odor. Et en fait pendant la classe de remise, sur la dernière semaine à peu près, je les ai rencontrés. Et en fait, on fait la rencontre sans le chien, pour le début. D’abord ils apprennent à me connaître et c’est vraiment une famille incroyable. Et il m’expliquaient qu’en fait, avant Odor, ils avaient eu Ninja, qui est un Saint-Pierre, mais de couleur roux, et ils m’expliquaient que lui a été reformé et que Odor c’était le premier, leur premier chien guide qui arrive au bout de sa formation. Pour elle, elle était tellement submergée d’émotion qu’elle a pleuré. Je trouvais ça beau. Ils m’ont expliqué aussi comment Odor était quand il était petit. Ses petites bêtises, vraiment on parlait… en fait c’est comme s’ils transmettaient un peu leur bébé. Et elle me disait ‘je pleure pas parce que je suis triste, mais je pleure parce que je suis fière de ce qu’il est devenu’. C’est l’un des plus beaux jours de sa vie, puis c’est l’aboutissement en fait d’un travail sur deux ans. Et elle est vraiment fière de lui et de tout ce qu’il a… tout ce qu’il a réussi.

E.

Oui et puis de tout ce que vous allez pouvoir encore faire ensemble parce que l’aventure ne s’arrête pas là. Malgré tout, est-ce que tu as un pire et un meilleur moment que tu as vécu avec Odor ? Alors des meilleurs, je pense qu’il y en a plusieurs, mais côté du pire, est-ce qu’il y a eu un moment plus difficile ?

M.

L’un des pires moments, ça a été, je pense, à la rentrée en terminale, donc ma première rentrée avec Odor. Et ce qui s’est passé, c’est que Odor a découvert, en tant que chien très malin, que l’école c’était ennuyeux et que rester à la maison, c’était mieux. Et il ne voulait plus travailler. Il faisait vraiment n’importe quoi. Des fois, il faisait une traversée à des endroits que je ne lui avais pas demandés. Il me mettait en fait vraiment en danger, et je sentais qu’il y avait un peu un mal-être du côté de Odor.

E.

Il faisait un peu son rebelle, quoi.

M.

Oui, c’est ça. Et j’ai eu peur, en fait, que… enfin j’ai fait appel à l’éducateur. J’ai eu vraiment peur qu’il soit, qu’il soit… vraiment l’éducateur a dit ‘si ça continue comme ça, va falloir que…’ Enfin il me l’a pas dit comme ça, mais il y avait une chance qu’il reparte en éducation pour qu’après on me le remette. Mais en fait, c’était… c’était vraiment dangereux, il me mettait en danger. Et au final, en fait, je lui ai juste fait comprendre que l’école, ça pouvait être agréable aussi. Que voilà, il n’y avait pas que des… que des moments… en fait, ce que Odor déteste, enfin ce qu’il détestait à l’époque, c’est rester allongé, rien faire. Ils disaient en fait que tellement il est malin, il peut pas rester sans rien faire, pour lui, c’est pas pensable. Il s’ennuie, il se lasse vite. Mais au final bon maintenant ça le dérange plus de dormir en classe. D’ailleurs il demande que ça. Mais en fait, je pense que vu qu’il était encore assez jeune, il avait besoin d’être stimulé tout le temps. Vu que tout au long de son éducation en fait, son travail de chien guide tous les jours, même si là il le faisait tous les jours, c’était moins, comment dire…

E.

Moins intense ?

M.

Oui, c’est ça. Et je pense que ça lui manquait. Ça lui manquait un peu, mais au final, ça s’est apaisé. Maintenant, il adore venir à l’école, il n’y a pas de soucis.

E.

Et dans les meilleurs moments, du coup ?

M.

Dans les meilleurs moments, c’est compliqué à choisir puisque il y en a tellement. Mais si je devais citer, c’était pendant les portes ouvertes en 2021, parce qu’en 2020 ça n’a pas pu être fait à cause de la Covid. Odor a toujours eu du mal un peu avec le croisement des autres chiens dans la rue. Ou alors il est vite, vite distrait. Et j’ai été surprise parce que pendant justement tout ce week-end, ça a été un chien exemplaire, il est resté droit dans ses pattes, quand il y avait d’autres chiens qui aboyaient, il n’aboyait pas. Et vraiment, en fait, il faisait preuve de fierté et je ressentais vraiment cette fierté. Quand on était sur scène et que Odor m’a été remis, il était droit, il était fier, comme si que pour lui, c’était bien vu. Il avait eu un trophée du meilleur chien guide. Ça a été, ça a été… oui j’ai été assez étonnée de lui.

E.

Et puis, depuis, vous avez quand même fait pas mal de choses. Tout ça, tu le racontes un petit peu sur Instagram. Tu peux nous donner ton compte comme ça, on pourra le suivre ?

M.

Oui, bien sûr. Du coup, je partage mes aventures au quotidien avec Odor sur mon compte Instagram. Donc Odor, O-D-O-R tiret bas I-N-E, où vraiment on va partager nos aventures, notre  quotidien parce qu’en fait, je faisais beaucoup de photos de Odor. Je pense que comme tout propriétaire de chiens, on ne peut pas s’en empêcher. J’avais envie de partager ça avec d’autres personnes et je trouvais qu’il y a vraiment peu de comptes de bénéficiaires qui vont vraiment parler de leur aventure de chien guide. Des comptes avec des familles d’accueil, on en a pas mal, des comptes sur les associations de chiens guides aussi. Je trouvais que les bénéficiaires il y en avait encore trop peu, que justement les gens n’avaient pas le… en fait ils avaient la moitié, enfin le début de la vie du chien guide, mais ils n’avaient pas la suite, et je me dis ‘ben c’est dommage, ils connaissent pas en fait en fin de compte ce qu’apporte le chien guide au quotidien chez les déficients visuels’, et c’est ce qui m’a motivée. Et aujourd’hui, maintenant il adore prendre des photos. Chaque fois il sait quand on va prendre des photos, il fait sa meilleure pose et puis ben voilà.

E.

Et puis du coup, on y voit les autres chiens de famille, entre guillemets. On y retrouve souvent, souvent Bruce. Bruce, pour le coup, est aussi une star du compte. Et puis, depuis quelque temps, tu nous parles un petit peu aussi de ta vie un peu plus personnelle. Tu as fait plusieurs interviews, enfin plusieurs parties d’interview avec ton copain et puis tu nous expliques un petit peu ta vie puisque tu n’es plus chez tes parents, de fait, comment tu as pris ton autonomie, etc. Donc c’est en tout cas très intéressant. Je vous encourage à aller suivre. Donc le compte de Marine, c’est ‘Odor’ tiret du bas ‘ine’, donc ça fait Odor-ine avec le tiret au milieu. Puis j’ai vu depuis très récemment que tu étais aussi ambassadrice pour la Woof Run, donc on va largement suivre ça aussi et ça n’augure que de très belles aventures qu’il te reste à vivre avec Odor.

M.

C’est ça. Puis je trouvais ça normal, enfin je trouvais ça important d’en parler sur les réseaux de tous ces changements et de voir aussi que la prise d’indépendance a été un gros changement dans ma vie et aussi dans celle de Odor : on n’est plus à la maison, c’est un appartement, il faut sortir pour faire ses besoins, il ne peut pas y aller quand il veut, il n’y a plus son copain. Mais il y a aussi l’arrivée de Matisse qui a fait un énorme changement dans la vie de Odor. En fait, on a tellement une relation forte que Odor est un peu possessif. Et à partir du moment ou Matisse est rentré dans ma vie en septembre, Odor a eu du mal un peu à digérer le fait qu’il y ait un autre garçon et qu’il n’y a pas que lui qui a le droit de…

E.

Donc, la relation exclusive que tu avais jusqu’alors avec Odor, il a dû te partager avec Matisse et puis Matisse, je crois, te partage aussi avec Odor. J’imagine que ça va dans les deux sens.

M.

C’est ça, dans les deux sens. Et puis le fait aussi que maintenant, en appartement, on est en colocation tous les trois, ils ont appris aussi tous les deux à se connaître. Et puis il y a des habitudes, enfin vraiment à se caler tous les deux à chacun leur mode de vie, parce que c’est vrai que moi j’ai l’habitude de certaines choses, que Odor fait au quotidien qui ne me dérangent pas, ce que Matisse ça l’a dérangé un peu au début, ce qui est normal puisqu’il ne connaissait pas encore la vie avec Odor. Et au fil des jours, ils ont appris tous les deux à s’adapter, puis à se connaître. Puis maintenant, ils ont créé une relation aussi plus forte, même s’il me préfère, mais euh…

E.

Ils sont chacun là pour toi, ils te côtoient toi, mais au final, vous formez un joli trio, même si Odor reste ton chien, Matisse, ton copain. Mais au final, vous vivez tous les trois, quoi.

M.

C’est ça.

E.
  1. Ben écoute, sur ces belles paroles, je pense qu’on peut te souhaiter que le meilleur pour la suite, de te suivre du coup sur ton compte Instagram. Et puis on a hâte de voir les nouvelles photos de Odor qui est, je l’avoue, très très photogénique quand même. J’en mettrai pas mal aussi sur le blog, mais en tout cas très très bonne continuation à toi et puis à très bientôt.
M.

Et ben merci, à très bientôt.

E.

Et voilà, c’est la fin de cet épisode. Merci à vous de l’avoir écouté en espérant qu’il vous aura plus. Merci à Marine d’avoir tout de suite accepté mon invitation, même si nous avons mis quelques mois avant d’enregistrer finalement cet épisode. Pour compléter votre écoute, vous pouvez retrouver sur futurchienguide.fr des photos de Marine et d’Odor et très bientôt la transcription intégrale de cet épisode. D’ailleurs, n’hésitez pas à m’envoyer vos retours sur Instagram ou Facebook. C’est toujours un plaisir de savoir ce que vous avez appris à l’écoute de ces épisodes. Alors à bientôt pour un prochain épisode sur l’univers méconnu des chiens guides d’aveugles.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *