Après Marie VDM, Charlotte et Tom, et Marie Pattes à modeler, je continue les rencontres cette fois-ci avec Bernadette qui est maîtresse chien guide. On passe alors dans la sphère des maîtres de chiens guides, mais pas sans lien avec celui des familles d’accueil, puisque Bernadette est guidée aujourd’hui par Mara de l’école des chiens guides d’aveugles de Paris. Après s’être rencontrées quelques fois en vrai, Bernadette nous partage son aventure auprès de ses chiens guides… puisque Mara n’est pas la première !

Retrouvez ci-dessous une retranscription raccourcie et illustrée de l’épisode :

Tout d’abord, est-ce que tu peux te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?

Bernadette et Mara au musée du Louvre lors d'une visite adaptée

Je m’appelle Bernadette, j’habite en grande banlieue, et mon mari et moi avons plusieurs enfants et de nombreux petits enfants. Je suis un peu atypique puisque après avoir eu une “mauvaise vue” toute ma vie, j’ai vraiment perdu la vue Ă  50 ans. On pense Ă  cet âge que la vie est fichue quand on a perdu la vue, mais j’ai choisi de rebondir. J’étais Ă©crivain public bĂ©nĂ©vole quand j’ai perdu la vue, mais on n’a pas souhaitĂ© adapter mon poste de travail Ă  ma dĂ©ficience visuelle, j’ai donc montĂ© mon entreprise avant de prendre ma retraite ensuite. Ce qui m’a complètement remis sur les rails et m’a permis d’avancer, c’est l’arrivĂ©e de mon premier chien guide. 

Du coup, est-ce que tu peux nous raconter comment et quand les chiens guides d’aveugles sont rentrés dans ta vie ?

J’ai toujours eu des chiens de compagnie et je connaissais l’existence des chiens guides. Quand on m’a dit que ma perte de vue était définitive, j’ai tout de suite contacté l’école de chiens guides de Paris. Cependant ils m’ont indiqué qu’il fallait d’abord faire une réadaptation, ce que j’ai fait au sein d’un centre spécialisé où j’ai appris principalement la locomotion (avec la canne blanche) et les gestes de la vie quotidienne, ainsi que le braille. Maintenant, cela me parait évident, mais il faut savoir être autonome à la canne blanche pour avoir un chien guide.

Paulus, golden retriever, couché sur le carrelage avec un enfant qui le carresse

J’ai donc contactĂ© l’école, un an et demi suite au premier contact, et j’ai eu de la chance puisqu’en 2003, Paulus m’a Ă©tĂ© confiĂ© suite Ă  la perte de son premier maĂ®tre. A ce moment-lĂ , j’avais beau savoir me servir d’une canne blanche, je n’avais pas confiance en moi. Le jour oĂą j’ai eu Paulus, j’ai foncĂ©, je me suis retrouvĂ©e moi-mĂŞme et mon mari et mes enfants ont Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s. Alors qu’avec la canne, je sortais uniquement pour l’indispensable. Je connaissais dĂ©jĂ  Paulus puisqu’il Ă©tait revenu Ă  l’école des chiens guides Ă  la mort de son maĂ®tre. A chaque fois que j’allais Ă  l’école des chiens guides, il Ă©tait en libertĂ© (et non en box), et je croisais ce beau golden retriever majestueux. Quand on me l’a prĂ©sentĂ©, ça a Ă©tĂ© une Ă©vidence. Il m’a accompagnĂ© jusqu’en 2010, et j’ai eu la chance de pouvoir le garder Ă  la maison pour sa retraite de chiens guides d’aveugles .

Dakota couché au pied de Bernadette allongée chez le dentiste

J’ai eu ensuite Dakota, une jeune flat coated retriever complètement cinglĂ©e qui m’a rĂ©joui le coeur ! Elle Ă©tait très enthousiaste avec tous les humains, et ça a vraiment soulagĂ© Paulus quand Dakota est arrivĂ©e en 2010. J’avais quand mĂŞme repris la canne en attendant, entre les deux chiens guides, mais avec Dakota j’ai appris Ă  foncer encore plus et n’avoir peur de rien. A cette Ă©poque, j’avais dĂ©jĂ  de nombreuses responsabilitĂ©s, prises quand j’étais accompagnĂ©e de Paulus, notamment Ă  l’ANM’ Chiens Guides. Mais en mai 2018, Dakota s’est mise Ă  boiter, c’était dĂ» Ă  une tumeur. Un cancer fulgurant du flat coated l’a emportĂ©e en un mois. Ça a Ă©tĂ© très très très dur, pour moi-mĂŞme et toute ma tribu familiale aussi… Mes petits-enfants ont exigĂ© que Dakota soit incinĂ©rĂ©e. ils ont organisĂ© une cĂ©rĂ©monie avec des poèmes et des chansons dans le bois d’à cĂ´tĂ©, oĂą on avait nos habitudes. On a tous bien pleurĂ© et ça nous a aidĂ© Ă  avancer.

Bernadette avec Mara au harnais

Au mois de juillet 2018, l’école m’a proposé un nouveau chien, j’ai eu le choix entre un labrador et un croisé labrador flat coated. Je voulais absolument un flat coated et finalement j’ai choisi le labrador pour ne pas comparer, et qu’est-ce que j’ai eu raison puisque c’était Mara ! La Mara dont parle Marie (Pattes à modeler), qui a été sa famille d’accueil et que j’ai rencontrée avec bonheur. On a fait des choses formidables avec Marie, elle en parle dans son interview, notamment la journée qu’on a passée auprès de ses élèves dans l’école où elle est institutrice.

C’est très important pour moi d’avoir des relations avec les familles d’accueil de mes chiens guides. Dès que j’ai eu Paulus, j’ai souhaité informer sa famille d’accueil. Sans les familles d’accueil nous n’aurions pas nos chiens, et sans l’amour des familles d’accueil, ils ne seraient pas aussi équilibrés. Je trouve ça normal de les rencontrer, et je crois que Marie, ça lui fait du bien de voir Mara, Mara ça lui fait du bien de voir Marie, donc tout va bien.

Mara, chienne-guide de Bernadette, avec Nollie, élève chien guide

Marie tenait vraiment à avoir des nouvelles de Mara, et je crois que c’est comme ça qu’on est rentrées en contact toi et moi ?

Bernadette debout avec Dream, son perroquet, sur l'épaule, et Mara assise à ses côtés

Oui, c’était sur un groupe de discussion sur Facebook, quand j’ai partagé quelques photos de Mara pendant l’été 2018. D’ailleurs, c’était pendant les trois semaines de juillet où j’ai eu Mara comme chien de compagnie avant la remise comme chien guide en août. Elle ne me guidait pas encore, mais on a construit une belle complicité. Immédiatement notre lien de travail s’est greffé sur le rapport affectif que j’avais déjà avec elle. On s’est ensuite rencontrées toi et moi pour la première fois à l’Assemblée Générale de l’école de chiens guides au printemps 2019, avec Mara me guidant au harnais bien sûr. Puis une deuxième fois à l’occasion des Portes Ouvertes de l’école, quand on a fait la photo pour Marie avec ses trois élèves, dont Mara.

Est-ce qu’il y a quelque chose que tu aimerais nous partager, qui te tient à cœur ?

Bernadette, faisant un écart pour éviter une voiture garée sur le trottoir, guidée par Mara

Chaque sortie avec un chien guide est un bonheur, et Ă  chaque fois c’est très important pour moi de dire merci aux familles d’accueil. Merci pour la solidaritĂ© qui fait que, de la naissance d’un chiot jusqu’à la fin de la vie d’un chien guide, c’est une magnifique aventure. Sans les familles d’accueil, cela ne serait pas possible, mĂŞme si ce n’est pas de la dĂ©pendance. Au contraire, par mes engagements, Dakota d’abord puis Mara maintenant sont des ambassadrices de l’autonomie des personnes aveugles. La prĂ©sence d’un chien guide Ă  mes cĂ´tĂ©s change le regard des gens sur le handicap visuel. 

Pour finir, est-ce qu’avec un de tes chiens guides, ou un des trois, tu as eu un grand moment de honte ou d’embarras avec eux ?

C’est avec Dakota, c’est un peu proche de ce que Mara a pu faire subir à Marie, mais Dakota a fait bien pire ! Alors qu’elle était au harnais, en train de me guider, elle a gobé au passage le pain au chocolat d’un petit garçon qu’elle a croisé. Le petit a hurlé et j’ai sursauté, et j’ai eu une chance que la maman se mette à rire. La maman et le petit devaient sortir de la boulangerie et ça devait être sur son passage, mais ça n’excuse rien, et quelle honte, enfin j’en ai rigolé, elle ne l’a jamais refait.

Et quel a été le ou les plus grands moments de fierté avec tes chiens guides ?

Bernadette avec Mara, assise à ses côtés, devant un panneau indiquant interdit aux chiens sauf chiens guides d'aveugle

Il y en a eu tellement, on va prendre le dernier pendant une visite collective test de sécurité d’accessibilité dans un nouveau centre commercial. Pour les personnes handicapées, en cas d’incendie, il y a un lieu où on doit attendre et appeler les secours. Sauf que ces lieux sont différents à chaque fois, et les interphones ne se trouvent jamais au même endroit. Alors j’ai appris à Mara à repérer le premier interphone avec une croquette. J’étais fière d’elle quand elle a réussi à trouver l’interphone à ma demande dans les deux autres pièces, alors qu’elle venait juste de l’apprendre ! Maintenant, Mara trouve ces interphones, et elle est tellement contente quand je la félicite et que j’explose de joie en plus de la croquette !

Dakota m’a Ă©galement rendue très fière le jour oĂą on traversait le parc près de chez moi (oĂą j’ai mes repères d’itinĂ©raires). Soudain elle s’est arrĂŞtĂ©e puis couchĂ©e au sol devant moi en me barrant la route. En fait, une grosse pierre avait Ă©tĂ© retirĂ©e et j’Ă©tais sur le point de tomber et elle a fait comme les Ă©ducateurs lui ont appris sur les quais de gare ou mĂ©tro pour m’empĂŞcher de tomber. Mara m’a fait la mĂŞme chose dernièrement sur mon trottoir, elle s’est arrĂŞtĂ©e pile et s’est couchĂ©e. Mais c’était beaucoup plus fluide car elle avait plus anticipĂ© et je m’y attendais, j’ai aussi plus d’expĂ©rience dans le guidage par un chien.

Je suis fière de mes chiens car je suis reconnaissante de la liberté qu’ils me donnent. Le chien me libère d’une partie de mon handicap, encore plus en se promenant avec de beaux chiens guides.

Merci à Bernadette pour cet échange très enrichissant, et dans la continuité de l’épisode avec Marie, qui nous permet de bien voir qu’il y a la sphère des familles d’accueil et relais et celle des déficients visuels, mais tous le même univers !

Bernadette et moi lors de l’AssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale de l’Ă©cole des chiens guides Paris au printemps 2019, avec Mara au harnais assise devant nous

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4 comments on “🦮4 – Bernadette, dĂ©ficiente visuelle comblĂ©e